Egalité homme-femme dans les entreprises: le quota inévitable ?

06 Apr 2022
Les statistiques plaident en faveur des quotas

Depuis un certain temps, il y a un débat à l’échelle mondiale concernant la nécessité ou
pas d’introduire des quotas légiférés ou volontaires pour obtenir la parité hommes-femmes
au niveau de la direction des entreprises et des conseils d’administration. Cette voie vers
l’égalité du genre a fait, mercredi, l’objet d’un dialogue des leaders d’industrie, organisé par
le groupe Mon Choisy au Clubhouse de Mon Choisy Le Golf. Indépendamment des avis
exprimés par les intervenants, les statistiques européennes présentées par Vincent Degert,
ambassadeur de l’Union européenne (UE) à Maurice, plaident en faveur de l’introduction de
quotas.


Ce dialogue pensé par Jyotee Jeetun, Chief Executive Officer (CEO) du Mon Choisy Group,
qui agissait comme modératrice de l’évènement, avait pour intervenants Aruna
Radhakeesoon, présidente du National Commitee on Corporate Governance, Hélène
Echevin, CEO de C-Care, Alain Law Min, CEO de la Mauritius Commercial Bank (MCB),
Jean-Pierre Dalais, Chairman de Business Mauritius et Vicent Degert, ambassadeur de l’UE
à Maurice.


Alain Law Min a évoqué la stratégie mise en place par la MCB pour avoir un groupe de
femmes à des postes de direction. Cette réflexion, qui a démarré, il y a deux ans, au sein de
cette banque, est partie du constat que bien qu’il y ait la parité en termes d’hommes et de
femmes employés à la MCB, un examen plus minutieux a permis à la direction de réaliser
qu’au fur et à mesure que le personnel grimpe les échelons, les femmes se raréfient en
cours de route. Sur la base des recommandations d’un rapport commandité à McKinsey,
consultant en management, la direction de la banque a réalisé que l’égalité du genre est
plus profitable d’un point de vue économique et a pris l’engagement d’avoir 40 % de
femmes au niveau de la hiérarchie intermédiaire et de l’équipe de direction d’ici 2026.


Sachant qu’un tel objectif prendra du temps, la direction a identifié les obstacles
empêchant cette montée en puissance des femmes au sein de l’entreprise, à savoir les
partis pris inconscients et les travers propres à toute société patriarcale. Il a rappelé que
dans les années 70, les employées qui se mariaient devaient quitter l’institution bancaire. Il
a cité l’exemple des femmes au niveau du management, qui face au poids du cumul de
leurs rôles de professionnelles et de mères de famille, pensent à démissionner. La direction
a donc revu ses politiques internes, étendant le congé de maternité de 12 à 18 semaines
pour les femmes, de cinq à dix jours pour les hommes, tout comme elle a rendu plus
flexibles les horaires de travail. Il a aussi fait mention du cas d’une jeune Senior Manager,
recrutée il y a trois ans et qui en raison de ses obligations familiales, a demandé de pouvoir
travailler quatre jours par semaine et sa demande a été acceptée. Une autre problématique
sur laquelle la direction devra plancher est celle de la tendance des femmes se trouvant
aux plus hauts échelons hiérarchiques à vouloir se retirer car elles doivent s’occuper de
leurs parents âgés. «Comprendre pourquoi les employés ne peuvent grimper les échelons
est important. A la MCB, nous en sommes encore au début du voyage car nous sommes à
30 % de notre objectif de parité et il nous reste 10 % pour l’atteindre. Nous espérons que
nous y parviendrons.»


Jean-Pierre Dalais s’est concentré sur les partis pris inconscients et sur ce que l’industrie
peut faire pour la parité. Il a estimé que plus on parle de parité, plus on progressera dans le
domaine. Il faut, selon lui, reconnaître qu’avoir plus de femmes au niveau du management
et de la politique est une bonne chose et que ce faisant, la nation s’en portera mieux. Et
qu’au niveau de la prise de décision, avoir plus de femme serait mieux non seulement pour
la diversité mais aussi pour les décisions, qui seraient alors plus collégiales. Pour y
parvenir, il faudrait mettre en place des indicateurs clairs. Bon nombre d’entreprises,
souligne-t-il, ont commencé à pister les femmes de talent et qui répondent à leurs critères.
Business Mauritius, avec l’apport de l’Agence Française de Développement, mène une
étude sur le retour des femmes dans l’emploi, qui sera un état des lieux de la situation de
l’emploi. Les partis pris du genre, a-t-il souligné, existent au niveau des conseils
d’administration des entreprises du privé où 90 % des membres sont des hommes. Les
entreprises ont aussi fait état de leurs difficultés à trouver des femmes habilitées à siéger
sur les conseils d’administration. Les compagnies qui ont de l’avenir, selon lui, sont celles
qui recruteront des femmes ayant moins d’expérience mais qu’elles formeront pour que
celles-ci puissent grimper les échelons et se hisser jusqu’aux conseils d’administration.


Pour Aruna Radhakeesoon, les changements en faveur de la parité s’opèrent lentement à
Maurice, a-t-elle dit, rappelant que ce n’est qu’en 2019 que la Companies Act a été
amendée pour rendre obligatoire la nomination d’une femme sur le conseil d’administration
des compagnies publiques. Selon elle, il est possible d’avoir trois approches pour
augmenter la présence des femmes sur les conseils d’administrations : (a) toutes les
compagnies devraient nommer une championne du genre, qui connaît les réalités de
l’entreprise et cela pourrait être une personne occupant un poste exécutif (b) les présidents
des grands conglomérats pourraient agir comme mentors pour les femmes identifiées et ce
faisant, celles-ci recevraient «une formation de première classe» et (c) les grandes
compagnies et les Holdings ayant des filiales pourraient laisser les femmes occupant un
haut poste dans la hiérarchie siéger sur les conseils d’administration de ces filiales pour
qu’elles se familiarisent à la dynamique des conseils d’administration. «C’est ainsi que
nous aurons des femmes talentueuses au plus haut niveau des entreprises.»
Pour l’ambassadeur de l’Union européenne, qui était invité à évoquer l’exemple européen,
les statistiques de 2021 sont plus parlantes. En termes de perception culturelle des rôles de
la femme et de l’homme, 44 % des Européens pensent que la place de la femme est à la
maison à s’occuper des enfants alors que 43 % des Européens estiment que l’homme doit
travailler et être le gagne-pain de la famille. En termes de représentation des femmes dans
les cercles économiques européens et sur les conseils d’administration de compagnies
privées listées en Bourse, la France prend la première place avec au moins 40 % de
femmes, suivie par l’Italie, la Belgique et la Suède avec 38 % alors qu’en Allemagne, en
Finlande, aux Pays-Bas et au Danemark, il y a 33 % de femmes. Dix Etats membres
n’avaient que 20 % de représentation féminine à ce niveau alors qu’en Estonie, à Malte et
en Hongrie, c’était 10 % uniquement. En octobre 2020, les Européennes étaient
représentées à moins de 20 % dans les postes exécutifs des entreprises listées en Bourse et
autour de 7 % en tant que CEO.


Au niveau du secteur public, le plafond de verre est très présent dans les institutions
financières européennes, 27 banques centrales n’ayant que des hommes comme
gouverneurs et 13 femmes en tant qu’adjointes. Dans les banques centrales nationales
d’Europe, elles ne sont que 24.6 %. A l’European Central Bank, sur 25 membres du conseil
d’administration, il n’y a que deux femmes alors qu’elles ne sont que trois sur 27 sur le
conseil d’administration de l’European Investment Bank.


Etre mère de famille n’est pas forcément un obstacle à la présence des femmes sur les
conseils d’administration, a-t-il dit en citant l’exemple d’Ursula Van der Leyen, présidente de
la Commission européenne (CE), qui a sept enfants. Lors du choix des commissaires, la
présidente de la CE demande toujours qu’on lui envoie deux candidats par poste à remplir,
soit un homme et une femme, avant de faire son choix. Cela se reflète dans la composition
actuelle de ladite commission, qui compte 13 femmes et 14 hommes. Le Senior
management de la CE comprend 41 % de femmes et son Middle management 43 % de
femmes. Vincent Degert a déclaré que la CE a pu augmenter la participation féminine à ces
niveaux-là à travers la législation, l’intégration du genre dans tous les domaines et
l’adoption dès 2012 de directives spécifiques comme s’assurer de la participation des
femmes sur le marché du travail, améliorer leur représentation à un minimum de 40 % sur
les conseils d’administration, réduire l’écart salarial entre sexes et améliorer l’équilibre entre
le travail et la vie de famille.


Par rapport aux quotas pour augmenter la représentation des femmes au plus haut niveau,
les pays de l’UE ont deux approches. Sept membres ont opté pour le quota légiféré, neuf
autres pour l’approche plus douce, soit une absence de sanction pour non-conformité ou
non application de la loi sur l’égalité alors que les 11 autres n’ont pas pris de mesures et
les résultats sont très significatifs. Dans les pays ayant adopté le quota législatif, les
femmes sont représentées à 37.6 %, soit 3 % de progression annuelle alors que dans les
pays ayant opté pour l’approche plus douce et ceux n’ayant pris aucune mesure, elles sont
24.3 %, soit 0.7 % de progression annuelle.


Hormis la législation, les autres outils utilisés pour obtenir un tel résultat sont le recours à
la stratégie de l’égalité du genre 2020-2025, l’adhésion à la plateforme des chartes de la
diversité et 12 000 organismes y ont adhéré, des évaluations et classement par le biais
d’indices et 600 compagnies ont accepté de partager leurs données. La situation s’est
améliorée en 2020 car un plus grand nombre compagnies européennes ont plus de 40 %
de femmes dans le leadership.


Et pour que la parité s’améliore dans les pays partenaires, l’UE partage ses bonnes
pratiques avec eux, instaure annuellement des Gender Policy Dialogues avec les
gouvernements, fournit de l’assistance technique, met en place des Joint Monitoring
Frameworks dans chaque ministère, finance les organisations non gouvernementales, qui
font la promotion de l’égalité du genre.


Hélène Echevin, CEO de C-Care, qui est aussi une maman avec des enfants en bas âge,
estime d’abord que la question à se poser n’est pas quelles mesures prendre pour
augmenter la représentation féminine au plus haut niveau des entreprises mais quoi faire
pour que les hommes, qui subissent aussi des pressions, aient envie de gagner moins
d’argent et veuillent bien travailler seulement quatre jours par semaine. Selon une récente
étude, bien qu’un homme se présentant à un entretien d’embauche estime qu’il n’a que 35
% de chances d’obtenir le poste, il se bat pour être recruté alors la femme postule
seulement quand elle pense avoir 70 % de chances d’être recrutée. C’est donc un état
d’esprit différent. Appelée à évoquer son expérience de gestion d’une entreprise confrontée
à la pandémie du Covid-19, elle a reconnu que la période la plus difficile a été celle des
confinements car les employés des cliniques de C-Care, qui sont des frontliners et qui sont
majoritairement des femmes, avaient peur d’être contaminés. L’aspect positif de ces
périodes de restrictions sanitaires a été un rapprochement entre les cliniques et le
gouvernement et elle a souhaité que cette collaboration se poursuive.


Elle dit essayer d’accompagner les femmes à différents niveaux de l’échelle hiérarchique à
C-Care et selon elle, pour que celles-ci puissent continuer à se hisser aux plus hauts
niveaux, il faudrait que la logistique suive à domicile. «Je dis à mes collègues mères de
famille que même si elles doivent embaucher plusieurs employés de maison et que la
rémunération de ces personnes représente 25 % de leur budget, elles ne doivent pas le
considérer comme une dépense mais comme un investissement car elles investissent dans
leur carrière». La CEO de C-Care pense que les femmes n’ont pas la même relation au
temps qui passe que les hommes. Dans la tranche d’âge des 35 à 45 ans, les femmes se
préoccupent davantage de leurs familles alors que les hommes dans cette tranche d’âge
en profitent pour accélérer leurs carrières. «Il faudrait que les femmes réalisent que les
facilités ne sont pas les mêmes lorsqu’elles auront entre 50 et 55 ans.»

 

Watch video: https://www.youtube.com/watch?v=zFtnCL04ysw

 

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